Les autres sœurs Brontë : Maria et Elizabeth

© Beatriz Martin Vidal

Au début, elles étaient cinq sœurs : Maria, née le 23 avril 1814 ; Elizabeth, née le 8 février 1815 ; Charlotte, née le 21 avril 1816 ; Emily Jane, née le 30 juillet 1818 ; Anne, née le 17 janvier 1820. Seul trois d’entre elles survivront assez longtemps pour connaître la postérité. Cependant, la mémoire des deux sœurs disparues, Maria et Elizabeth, a hanté les Brontë toute leur vie, se frayant même un chemin jusque dans leurs récits, tout particulièrement dans le roman Jane Eyre avec le personnage d’Helen Burns.

La vie de Maria et d’Elizabeth

En avril 1820, tous les membres de la jeune famille Brontë quittent leur petite maison de Thornton pour occuper le presbytère d’Haworth dans le Yorkshire où le père, Patrick Brontë, homme d’église protestante, est nommé à la cure perpétuelle. Après un peu plus d’une année de vie familiale heureuse dans la grande maison, située tout en haut de la rue principale d’Haworth au pied des landes de bruyères, un événement tragique allait profondément marquer le destin des Brontë : Maria Branwell, l’épouse de Patrick, décède le 15 septembre 1821 à l’âge de 38 ans, après une longue maladie. À la mort de leur mère, Maria, l’aînée, n’est âgée que de 7 ans ; Elizabeth a 6 ans ; Charlotte a 4 ans ; Branwell, le seul garçon de la famille, a 3 ans ; Emily Jane a 2 ans et, Anne, la cadette, n’est âgée que de 3 mois. Après le décès de leur mère, Maria assume le rôle de petite maman auprès de son frère et de ses sœurs. Elle sera décrite plus tard comme très adulte, témoignant d’une grande intelligence, délicate, douce et profonde pour son âge.

Malgré le deuil, les enfants Brontë vivent une vie paisible et ordonnée au sein de leur foyer. Leurs journées se déroulent habituellement ainsi : après s’être levés, les enfants sont lavés et habillés, puis la maisonnée (incluant les deux servantes) se rassemble dans le bureau de Patrick Brontë pour réciter des prières. Les enfants accompagnent ensuite leur père dans la salle à manger pour prendre leur petit-déjeuner : du porridge avec du lait et du pain beurré. Après le repas, ils se retrouvent de nouveau dans le bureau de leur père pour recevoir quelques leçons. Les petites Brontë étaient ensuite confiées à l’une des servantes pour apprendre la couture, pendant que Branwell poursuivait son apprentissage auprès de son père.

Les enfants dînaient à 14 h dans la salle à manger en compagnie de Patrick : de la viande rôtie ou bouillie, des légumes, un dessert (pouding au riz, ou autres douceurs préparées avec des œufs et du lait). En après-midi, pendant que leur père vaquait à ses occupations auprès de ses paroissiens, les enfants Brontë allaient se promener sur la lande (ils s’y promenaient tous les jours, sauf si la température était trop mauvaise). Cette promenade marquait le moment culminant de leur journée. À leur retour, les enfants Brontë prenaient le thé et leur repas du soir dans la cuisine. La soirée se déroulait auprès de leur père ; pendant que les petites filles cousaient de nouveau, ils discutaient ensemble des nouvelles parues dans les journaux, où ils écoutaient leur père leur parler d’histoire, de géographie, de biographies ou de voyages.

Patrick Brontë ne s’étant pas remarié (malgré quelques tentatives), il s’est rapidement retrouvé débordé avec la responsabilité d’éduquer six enfants en bas âge tout en s’occupant de sa cure à Haworth. Il était par ailleurs soucieux de donner une bonne éducation à ses filles et ce, malgré ses moyens financiers limités, pour qu’elle puisse éventuellement subvenir à leurs besoins à l’âge adulte.

Dans un premier temps, Maria et Elisabeth furent envoyées à Crofton Hall près de Wakefield, grâce à une aide financière de leurs marraines. C’était un pensionnat pour jeunes filles, modeste mais de bonne réputation. Cependant, les frais de cette institution, trop élevés pour les moyens de Patrick Brontë, obligèrent ce dernier à mettre fin rapidement au séjour de Maria et d’Elizabeth à Crofton Hall.

Une école/pensionnat venait à peine d’ouvrir ses portes à Cowan Bridge, The Clergy Daughters’ School. Elle semblait répondre aux prières de Patrick Brontë au sujet de l’éducation de ses filles : elle priorisait les enfants des hommes d’église pauvres, comme lui, avec des frais de seulement 14£ par an, par élève (la moitié de ce qu’il en coûtait normalement à l’époque dans ce genre d’institution). Avec un léger supplément, les jeunes filles pouvaient également recevoir une éducation les préparant à devenir professeur d’internat ou gouvernante.

Les écoles à bas prix comme The Clergy Daughters’ School jouissaient pourtant d’une bien mauvaise réputation. On rapportait parfois dans les journaux des histoires d’horreur concernant ce genre d’établissement : hygiène déficiente entraînant de nombreuses maladies ou même des handicaps, sévices physiques, etc. Cependant, la liste des donateurs de l’école de Cowan Bridge étant parfaitement honorable, Patrick Brontë se sentit malgré tout en confiance pour y envoyer quatre de ses filles. En juillet 1824, Maria (10 ans) est donc placée avec sa sœur Elizabeth (9 ans) à l’internat de la Clergy Daughters’ School, pour «y recevoir une bonne éducation et y apprendre les bonnes manières». Elles y sont rejointes en août par Charlotte, et en novembre par Emily.

Malheureusement pour les petites Brontë, l’école est assez mal tenue. Les élèves y connaissent un régime de vie austère et sévère (bien que cela soit relativement commun à l’époque dans ce genre d’établissement) mais aussi le froid et, surtout, la faim. En effet, la nourriture servie à l’école de Cowan Bridge était particulièrement mauvaise, mal préparée dans des conditions d’hygiène douteuses.

En février 1825, Maria, affaiblie par ce régime, est devenue très malade à cause de la tuberculose. Elle est retirée précipitamment de l’école de Cowan Bridge et meurt quelques mois plus tard au presbytère d’Haworth, le 6 mai, à l’âge de 11 ans. La tuberculose emporte aussi sa sœur Elizabeth le 15 juin 1825. Patrick Brontë, sous le choc, retire Charlotte et Emily de Cowan Bridge avant qu’elles ne tombent malades elles aussi.

Dans son roman Jane Eyre, publié en 1847, Charlotte Brontë nous livre un poignant témoignage de ces mois de misères passés à Cowan Bridge. Tout particulièrement, le sort de Maria à la Clergy Daughters’ School marque profondément Charlotte Brontë. Elle ressent de l’amertume et de la colère à l’égard de cette institution qu’elle rend responsable de la mort de sa sœur. De plus, le rôle quasi-maternel assumé par Maria auprès de ses sœurs suite au décès de leur mère accentue son sentiment de perte. Ce traumatisme transparaît dans Jane Eyre : Cowan Bridge y devient alors le terrifiant pensionnat de Lowood, et la figure pathétique de Maria est représentée sous les traits de la douce et patiente Helen Burns.

En ce qui concerne Elizabeth, nous savons malheureusement très peu de choses sur elle. On pense qu’elle n’a pas montré la même précocité que ses trois sœurs. D’ailleurs, il n’avait pas été prévu par Patrick Brontë qu’elle reçoive à Cowan Bridge l’éducation qui lui permettrait de devenir un jour gouvernante. On sait par ailleurs qu’elle a subi un mystérieux accident à la Clergy Daughters’ School, se blessant sérieusement à la tête ; elle fut alors obligée de garder la chambre plusieurs jours.

La tuberculose au XIXe siècle

La tuberculose, qui a emporté les jeunes Maria et Elizabeth Brontë, est une infection des poumons et d’autres organes. Elle est due à une bactérie qui détruit les tissus et crée des cavités. La maladie serait aussi vieille que l’humanité ; elle est connue et décrite depuis l’Antiquité.

L’épidémie de tuberculose a atteint son apogée au XIXe siècle, à l’époque des Brontë, où elle a été responsable de près d’un quart des décès des adultes en Europe. L’école de Cowan Bridge n’était donc pas à l’abri d’une épidémie ; seules les conditions difficiles dans lesquelles étaient éduquées les jeunes filles (surtout le froid et une mauvaise alimentation) ont contribué à ce que cette épidémie devienne une hécatombe pour la famille Brontë.

Le terme de « tuberculose » n’est par ailleurs apparu qu’au XIXe siècle (après 1830 plus précisément). Auparavant, la maladie était appelée «Phtisie» (terme qui vient du Grec et signifie «dépérissement»), «Consomption» (de «consumer») ou «Peste blanche».Les symptômes de la tuberculose sont la fatigue, la perte de poids, la perte d’appétit, une toux grasse (avec parfois expectoration de sang), la fièvre.

Emily, Anne et Charlotte, devenues adultes, seront elles aussi emportées par la maladie qui leur a brutalement enlevé leurs jeunes sœurs.

Un commentaire sur « Les autres sœurs Brontë : Maria et Elizabeth »

  1. Une petite rectification: Les données biographiques actuellement connues montrent que Charlotte n’est pas morte de la tuberculose, mais d’une grossesse mal supportée. Un premier enfant à près de quarante ans, à cette époque-là, chez une jeune femme aussi frêle et minuscule, c’était sans doute un pari risqué.

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